" Une Journée sur le littoral vendéen "

 Il y eut soudain un grand éclair blanc, intense et bref comme un puissant flash.
C’était un accident, totalement inexplicable ; dans leur monde et au degré d’évolution atteint, ce type de panne est impensable, impossible.
Oui, mais voilà ! Ils sont bien là, parmi nous, sur ce petit morceau du littoral vendéen.

 Ces deux…, voyons…, comment pourrait-on appeler ces “créatures improbables”. Des “extra-terrestres” ? Disons plutôt des “NCG48”, suivant le nom de code que les spécialistes donnent à leur galaxie d’origine. Pour faire court, nous les appellerons simplement NC — NC1 & NC2, puisqu’ils sont deux.

 Nous sommes au tout début du mois d’octobre ; il fait très doux ce matin là. Le soleil tarde à se montrer, une brume dense recouvre la région et il n’y a pas un souffle d’air. Dans la baie de Bourgneuf, le ciel et la mer se confondent dans un beau gris bleuté sur lequel se détachent des oiseaux, principalement mouettes et goélands avec, aussi, quelques représentants du peuple migrateur. Un peu plus loin, on aperçoit à peine la silhouette d’un ou deux bateaux de pêche, permettant de deviner la ligne d’horizon.

 Le vaisseau spatial de NC1 & NC2, personne ne l’a vu, ni entendu, il s’est littéralement évaporé ! Bien que secoués, ses occupants sont indemnes et cherchent à comprendre ce qui leur est arrivé.

 Les “NC” n’ont rien d’humain et leur forme d’origine est indéterminée. Ils semblent communiquer entre eux par ‘ondes’, une sorte de télépathie. Ils peuvent aussi, prendre l’aspect des habitants des lieux qu’ils visitent dans l’immensité du cosmos. Cela leur permet de passer inaperçu et évite les questions embarrassantes.

 Comme la plupart de leurs congénères sur NCG48, NC1 & NC2 ne sont pas de nature belliqueuse, ils sont simplement curieux de tout et passent l’essentiel de leur existence à voyager d’une galaxie à l’autre. Ils étaient en route pour NCG95 au moment de l’accident.

 Le premier instant de stupeur passé, leur optimisme naturel reprend le dessus et ils décident d’explorer cette étrange planète où le hasard les a conduit. Leur principal souci, généralement, est de découvrir qui sont les “habitants” du lieu visité … s’il y en a.

 Il fallait donc s’y attendre, bien vite, deux nouveaux goélands se posent sur la surface lisse de l’eau, tout près d’un groupe d’oiseaux se faisant remarquer par des cris perçants. Les deux intrus n’ont pas beaucoup de chance dans leur tentative de communication sonore. Ils sont quasiment ignorés par des créatures qui leur signifient avoir d’autres préoccupations que la conversation avec des étrangers bavards.
Après un essai, tout aussi infructueux, avec une compagnie de colverts de passage dans la région, NC1 & NC2 reviennent près de leur lieu d’atterrissage.
—  8¥–“z£–®€™–xy –¥ (1)  dominante non, espèce planète, ailleurs chercher (2), transmet NC1 à son compagnon.

(1) Le langage des NC étant assez hermétique aux terriens, nous le traduirons pour le reste de cette narration.

(2) Désolé, nous allons virer ce traducteur et  faire appel à un vrai spécialiste.

Nous n’avons plus notre vaisseau, sans lui nous ne pouvons pas aller très loin, lui répond NC2.

 Nos deux voyageurs prennent le parti de garder temporairement l’aspect d’un oiseau, cela leur paraît utile avec toute cette étendue liquide et cela économise aussi leur réserve d’énergie. Seul, le port de plumes gêne un peu leur métabolisme, une tendance allergique peut être … Sur NCG48 on déconseille d’ailleurs tout plumage pour une incarnation prolongée.

 NC1 & NC2 se dirigent plein sud en suivant le rivage. En chemin, ils rencontrent d’autres volatiles, mais cette fois, se gardent bien de les aborder ; ils sont à la recherche des “vrais habitants” de ce monde et ce ne sont certainement pas ces créature à bec, incapables de communiquer intelligemment.

 Un bruit attire leur attention, ils arrivent près d’un pont sur lequel se déplacent, bruyamment, de nouvelles “créatures”.
—  Intéressant, celles-ci n’ont pas de pattes, ni d’ailes, elles avancent avec des roues, dit NC1.
—  Analysons les, répond NC2, leur structure paraît intéressante.

 Bientôt, deux nouveaux véhicules apparaissent au pied du pont. Ils ressemblent étrangement à la camionnette grise d’un maçon de l’Ile qui vient juste de franchir le pont : même carrosserie rouillée, même aile avant gauche cabossée, mêmes plaques d’immatriculation et aussi, même radio tonitruante !

 De plus, en les observant on remarque un détail troublant : les phares sont allumés, le moteur et la radio fonctionnent, mais il n’y a personne, pas plus à l’intérieur qu’à l’extérieur.

 Un instant plus tard, une petite auto rouge débouche au pied du pont, en direction de Noirmoutier. Son conducteur, Pierrot, est en retard pour l’embauche — comme d’habitude. En passant, il donne un bon coup de ‘klaxon’ signifiant : « Attention ! J’arrive » aux deux camionnettes mal garées, sur le côté de la route.
—  Mais… mais, qu’est-ce qu’elles me veulent ? s’exclame Pierrot, pâlissant dans son auto.

 Les deux camionnettes grises ont brutalement démarré et le suivent, sans conducteur ! L’une est juste à quelques centimètres de son pare-chocs arrière tandis que l’autre roule à son niveau sur la voie de gauche et toutes deux ‘klaxonnent’ à tue-tête.

 S’arrêter sur le pont ? Impossible ! Pierrot appuie à fond sur l’accélérateur sans parvenir pour autant à semer les camionnettes. Par chance, la circulation est nulle en sens inverse et Pierrot peut s’arrêter en catastrophe sur le terre-plein de l’autre côté du pont, sans dommage.

 Livide, le cœur battant, le conducteur de l’auto rouge reste prostré de longues minutes sur son siège. Les camionnettes folles sont toujours là, arrêtées de chaque côté. Puis, les ‘klaxons’ se taisent.
—  Encore une fausse piste, se lamente NC1.
—  Oui, lui répond NC2, pas très communicant. Il faut chercher plus loin.

 Des corbeaux, un instant effrayés par tout ce tintamarre, reviennent se poser prudemment à proximité, intrigués. Et puis, « flouff ! » les deux camionnettes disparaissent. Nos deux NC ont repris leur plumage, tout noir cette fois, et volettent en direction de la digue.

 Réchauffant l’atmosphère, les rayons du soleil traversent quelques nuages épars et évaporent ceux tombés sur le sol.
Perchés sur l’une des grosses pierres nouvellement amenées sur la digue, deux corbeaux se reposent. La transformation de l’une à l’autre des créatures rencontrées est coûteuse en énergie. Il leur faudra bientôt songer à s’alimenter.
Leur œil perçant aperçoit deux longues oreilles blanches et grises appartenant à une créature de petite taille s’agitant entre des hautes touffes d’herbe. Une deuxième créature de même type rejoint la première qui s’engouffre dans un trou.
—  Tiens tiens … on dirait que celles-là vivent dans le sol, croasse NC1.
—  Elles ne semblent pas très intéressantes, répond NC2.
Et là, juste sous leurs griffes, de minuscules créatures courent sur leurs six pattes entre brins d’herbe et cailloux. Elles ont l’air d’aller et venir sans but précis.

 NC1 & NC2 ne bougent pas. Ils jugent ces petits êtres plutôt secondaires et préfèrent ne pas gaspiller leur énergie pour les analyser de plus près.
Il faut dire que dans leurs pérégrinations à travers le vaste univers, nos deux amis ont acquis de l’expérience. Ils ont rencontré toutes sortes de créatures : des énormes ou microscopiques, rondes ou plates, molles, transparentes, glacées, électriques... Certaines ont l’aspect de “plantes”, vivent dans l’air, dans l’eau ou parfois dans le vide.

 Ils ont même vu, dans NCG131, des “multons” qui sont des créatures “multiples”, immenses, sonores et colorées, n’existant qu’au travers de leur multitude de membres, comme les cellules mouvantes d’un même organisme. Là, la transformation en multon s’était avérée très difficile et NC2 n’y était même pas parvenu complètement, attirant immédiatement l’attention sur lui. Ils avaient dû repartir en toute hâte pour éviter d’être ‘absorbés’ par des multons gloutons.
Heureusement, sur NCG131, ils avaient leur vaisseau spatial en état de marche, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.

—  Nous devrions peut-être nous occuper de contacter le “relais NCG”, tant que nous avons assez d’énergie, transmet NC1.
—  Bah ! nous avons bien le temps d’y penser, répond NC2, nous n’avons pas encore trouvé ceux que nous cherchons. A voir le nombre de créatures différentes sur cette planète, il faut être patient.

 Le soleil est maintenant plus actif et les quelques lambeaux de brume persistante ont disparu.
Les deux corbeaux choisissent de continuer vers l’intérieur de l’île. Ils croisent d’autres mouettes et aussi d’autres corbeaux qui leur lancent des « croa » interrogateurs.

 Soudain très intéressés, nos NC se posent sur les piquets d’une clôture entourant une petite étendue verte. Au milieu, une dizaine de créatures avec des cornes et une longue queue, semblent se nourrir d’herbe. L’une d’elle redresse la tête et lance un « meuh » retentissant. Aussitôt, « flouff ! » deux autres vaches, également noires à larges taches plus claires, apparaissent à ses côtés en meuglant.

 Le troupeau tout entier cesse alors de brouter et participe au concert de meuglements. Le bruit attire l’attention d’autres créatures, volantes ou rampantes, et particulièrement une, d’une nouvelle espèce, qui descend précipitamment d’un gros engin à roues et accourt dans le pré.

 Gaston se demande ce qui arrive à ses vaches. Habituellement, elles sont toujours très calmes et l’on est encore loin de l’heure de la traite ! Deux ou trois vaches, au milieu, semblent particulièrement agitées. A y regarder de plus près, Gaston compte trois “Noiraude”.
—  Trois “Noir….” ! Attends un peu ! grommelle-t-il en soulevant sa casquette.
Il faut se rendre à l’évidence, il y a maintenant, non pas une, mais trois “Noiraude”. Et pas de doute possible, elles ont toutes les trois le même numéro gravé sur la plaque d’identité, attachée à l’oreille.

 Récupérant son gourdin près de la clôture, Gaston entreprend de conduire ces trois ‘clones’ hors du pré, vers sa ferme tout près. Si la véritable Noiraude ne s’offusque pas des coups de bâton sur la croupe, NC1 & NC2 n’apprécient guère le traitement, même avec l’épaisseur du cuir qui les rend moins sensibles.

 Ils décident, malgré tout, de conserver leur aspect actuel, ils espèrent apprendre des choses intéressantes et cette nouvelle créature à deux pattes semble être “le patron”. Il pourrait bien appartenir à l’espèce dominante qu’ils recherchent depuis leur arrivée.
—  Ouille ! meugle NC2, si cette créature me frappe encore, je lui donne un coup de corne.
—  Surtout pas, répond NC1, tu vas tout gâcher. Il faut savoir qui sont ces ‘deux pattes sans plumes’.
—  Quelles idiotes ! meugle à son tour la Noiraude qui marche en tête, ce sont des “humains”, tout le monde sait cela.

 Arrivé dans la cour de la ferme du ‘Grand Pré’, Gaston appelle sa femme, qu’il aperçoit près du poulailler. Gisèle accourt en s’essuyant les mains sur son jean usé et tourne autour des trois vaches, n’en croyant pas ses yeux.
—  Dis donc Gaston ! où as-tu trouvé ces bêtes ? On dirait la Noiraude en trois exemplaires.
—  Tu ne crois pas si bien dire, elles ont le même numéro ! Bon, on va les rentrer à l’étable en attendant d’y voir plus clair.

 Avec la porte fermée, l’étable est un peu sombre, NC1 & NC2 s’installent près de la Noiraude qui, mécontente de ce retour prématuré au logis, les ignore ostensiblement et se met à extraire du foin d’une mangeoire fixée au mur.
—  Et si on essayait de se nourrir aussi, transmet NC1 à son compagnon, il faut récupérer de l’énergie avant tout.

 Un peu plus tard, Gaston revient dans l’étable avec des voisins, curieux de voir ces trois vaches, totalement identiques, mastiquant paisiblement. Ensuite, les enfants du paysan, rentrés de l’école pour le déjeuner, ont voulu voir les trois “Noiraude”, et aussi les enfants des voisins, et bientôt presque tout le village défile dans l’étable.

 Imperturbables, nos deux NC emmagasinent de la nourriture, ils boivent aussi dans un large bassin rempli d’eau claire.
—  Tu ne crois pas qu’on pourrait se changer en “humain” maintenant ? transmet  NC1.
—  Peut être … attendons encore un peu, j’aime bien cette nourriture, lui répond NC2.

 C’est l’après-midi ; il fait chaud en plein soleil, mais l’étable est restée fraîche et agréable, cela n’incite guère nos amis à la quitter.

 Un bruit de moteur dans la cour de la ferme, une portière qui claque, et la porte de l’étable s’ouvre de nouveau. Un autre “humain” accompagne Gaston. En plus d’une abondante moustache, il porte une grande sacoche noire. Il est en tenue de ville mais, bizarrement, il est équipé de grandes bottes de caoutchouc bien crottées, comme s’il venait de traverser un tas de fumier.

—  Vous voyez, Monsieur Jean, je les ai trouvées comme ça, ce matin, dans le pré du creux. Elles beuglaient comme des folles.

 Monsieur Jean, passe une blouse qui, jadis, fut blanche et s’approche des trois vaches. Il commence à examiner la première, saisit l’étiquette accrochée à l’oreille, lui ouvre la bouche, regarde la cicatrice d’une ancienne blessure au cou (pour laquelle Gaston l’avait fait appeler), la palpe brièvement, lui soulève la queue, lui donne une grande claque sur la croupe et passe à la suivante.

 La Noiraude reste ‘zen’. Elle connaît bien Monsieur Jean qui est venu l’aider à mettre bas quelques mois plus tôt. Il est un peu brutal comme tant d’humains, mais il ne lui a jamais fait de mal.

 NC1 & NC2 sont moins tranquilles, ils regardent Monsieur Jean avec de grands yeux inquiets. Celui-ci est brusquement reparti vers sa sacoche posée à terre et semble à la recherche de quelque chose à l’intérieur.

 A ce moment, la porte s’ouvre et Gisèle entre avec un objet à la main.
—  C’est pour vous, Monsieur Jean, dit-elle en lui tendant l’objet.
Monsieur Jean porte l’objet à son oreille, grogne quelques mots et sort de l’étable suivi de Gaston et de Gisèle.

 NC1 & NC2 ont capté un rayonnement, la situation pourrait devenir dangereuse, il faut prendre l’aspect de l’espèce dominante, c’est plus sûr. Aussitôt, « flouff ! » deux des “Noiraude” disparaissent, remplacées par deux “Gaston” !
—  Mais non, voyons ! s’exclame NC1,  je suis l’humain n°1 et toi, l’humain n°2.
 NC2 ne discute pas et, « flouff ! » Gisèle apparaît à coté de Gaston.

 Nos deux ‘faux humains’ semblent satisfaits de leur transformation, Gaston-bis est un peu ‘enrobé’, un large ceinturon de cuir comprime un estomac trop plein, la casquette bleue couvre une chevelure déjà grisonnante. Gisèle-bis est aussi mince que l’original, les cheveux coupés très courts sont colorés d’un ton auburn qui va bien à son teint hâlé.

 Ils décident de quitter l’étable et de trouver un endroit plus discret. Au moment de sortir, NC2 regarde rapidement dans la sacoche de Monsieur Jean, restée à terre, entre-ouverte. Il y voit quelque chose qui ressemble à une énorme seringue. Pas le temps de se poser des questions, il suit NC1, déjà dans la cour. Celle-ci est déserte, seule une grande auto attend devant la bâtisse principale.

 Des bruits venant de la maison les incitent à entrer précipitamment dans l’auto sans trop réfléchir. Monsieur Jean marche à grand pas vers l’étable, suivi de Gaston et de Gisèle. Des exclamations indiquent que le trio vient de constater la disparition des deux clones, puis Monsieur Jean sort, faisant de grands gestes devant les paysans interloqués. Cela dure quelques instants, puis une portière claque violemment et l’auto démarre en trombe.

 Dans le rétroviseur, on peut voir un Gaston renfrogné, reconduisant une Noiraude satisfaite d’aller retrouver ses compagnes au pré du creux.

 Dans l’auto qui roule à bonne allure, Monsieur Jean ne desserre pas les dents. Il paraît furieux. A l’arrière, Gaston et Gisèle bis se tiennent cois, ils n’ont pas très envie d’être découverts.

 La campagne, avec ses maisons éparses, cède la place à la ville. L’auto s’immobilise sur une petite place. Monsieur Jean arrête le moteur et descend en claquant la portière — une habitude, sans doute — avant de s’éloigner.

 Quelques minutes plus tard, NC1 & NC2 sortent prudemment de l’auto et regardent autour d’eux : des arbres, d’autres autos, des constructions … Au hasard, ils se dirigent vers un bâtiment plus grand que les autres. Les portes sont entre-ouvertes et l’on entend des bruits de conversations à l’intérieur.
—  Gaston ! Gisèle ! c’est vraiment sympa d’être venus. Venez, on a à peine commencé.

 La femme, aux cheveux bleutés, qui les apostrophe ainsi, les précède dans une salle où une vingtaine de personnes sont assises devant des tables disposées en cercle. Gaston et Gisèle bis prennent place à une table inoccupée et attendent avec curiosité.

 Cela leur rappelle un séjour dans NCG151, durant lequel une assemblée, pareillement disposée, participait à un ‘banquet’. NC1 & NC2 avaient parfaitement pris l’apparence des habitants du lieu : d’énormes lézards argentés. Au menu, de grosses boules translucides qui, après informations, se sont avérées être des œufs d’une tribu ennemie. Les NC sont tolérants, mais cette fois, NC1 & NC2 sont partis pour marquer leur désapprobation.

—  Bienvenue à tous ! s’exclame une autre femme aux cheveux teintés de rose. Aujourd’hui, pour notre discussion du mois, consacrée aux extra-terrestres, nous sommes heureux d’accueillir deux nouveaux participants : ‘Gaston et Gisèle’ qui, j’espère, nous feront part de leur expérience.
Un murmure d’approbation parcourt la salle et l’un des participants prend la parole.

 Nos deux NC écoutent avec attention. Ils entendent de curieuses histoires de soucoupes volantes et de petits hommes verts. Un engin mystérieux se serait même posé, il y a quelques années, dans le champ que Gaston était en train de faucher. Alors, toutes les têtes se tournent vers NC1 — alias Gaston — et le silence se fait.
—  Qu’est-ce que je leur dis ? transmet NC1.
—  Raconte-leur notre dernier voyage, répond NC2
NC1 entreprend alors d’expliquer, sans trop entrer dans les détails — il y faudrait des jours ! — leur périple depuis NCG48.

 Au début, silence total. Les visages sont très attentifs, captivés ; puis, deviennent de plus en plus incrédules et finalement, c’est l’éclat de rire général. Tous, se tordent de rire. NC2 aperçoit même la femme aux cheveux bleutés se précipiter vers la porte des toilettes, dans un rire incontrôlable.

 NC1 est un peu surpris ; il n’a fait que dire la vérité. Bien sûr, il a laissé de côté certains détails trop techniques, inaccessibles pour une civilisation aussi peu avancée que celle-ci. Tout de même ! il s’attendait à plus de respect de la part de ces “humains”. Il se demande si, finalement, il ne devrait pas, avec NC2, contacter le “relais NCG” pour se signaler à l’équipe des “contrôleurs” de NCG48.

 Dans la salle, les rires se calment un peu. La femme aux cheveux roses propose une collation pour cette fin d’après-midi ; annonce accueillie avec enthousiasme par les participants. Des bouteilles, contenant des liquides de différentes couleurs, apparaissent sur les tables en compagnie de nourriture plus solide. NC2, qui a toujours été le plus gourmand, regarde cela d’un œil intéressé et apprend très vite à se servir de l’assiette et du gobelet.

—  Je me demande comment tu peux rester svelte en avalant tout ça, fait remarquer l’un des convives à la pseudo Gisèle.
—  Normal, c’est une extra-terrestre ! répond un autre en relançant la rigolade.
NC1, au contraire, reste sobre. Il accepte juste un verre de jus de pomme avec une part de tarte. Il évite de répondre aux plaisanteries — pas méchantes dans le fond, mais si agaçantes — qui fusent de toutes parts.

 Le soleil commence à décliner sur l’horizon. Quelques participants s’affairent au rangement et au nettoyage. Les plus pressés, ou les plus paresseux, ont déjà quitté la salle. NC1 entraîne NC2 par le bras, il est temps de partir.
Sur le pas de la porte, un homme au teint rougeaud les accoste :
—  Allez, venez !  je vous ramène. C’est mon chemin, je passe juste devant le Grand Pré.
Il n’est pas question de discuter, nos deux NC se retrouvent de nouveau, à l’arrière d’une auto qui file sur la route.

 Au loin,  le ciel rouge trahit un soleil qui s’échappe. Les phares éclairent la route mais on y voit encore suffisamment pour remarquer, sur la droite, le chemin conduisant à la ferme du Grand Pré que l’on devine tout près de là. L’auto s’est arrêtée et l’homme rougeaud leur souhaite le bonsoir avant de repartir.
Et maintenant, que fait-on ?

 NC1 insiste pour quitter la planète au plus tôt, mais NC2 souhaite rester encore, la nourriture de ces humains est encore meilleure que celle des vaches. Cependant, il faut être raisonnable, le moment est idéal pour une communication vers le “relais NCG”, l’astre brillant qui s’éloigne provoquera moins d’interférences.

 A l’écart de la route, à l’abri des regards, nos deux amis unissent leur énergie pour joindre le “relais NCG”. En l’absence de leur vaisseau spatial, cela demande un effort considérable. Fort heureusement, ils ont pu faire le plein d’énergie avec toute la nourriture absorbée durant ce jour.

 Au deuxième essai, le contact est établi. Le “relais NCG” a une vision claire de leur situation. Le contrôleur les aperçoit sur son écran et leur demande de confirmer leur identité. Après quelques échanges, il apparaît qu’ils ont été portés disparus et qu’il va falloir faire les corrections nécessaires avant de les récupérer.
—  Enlèvement dans sept minutes, annonce le contrôleur, placez-vous dans un endroit dégagé. Et le contact avec le “relais NCG” est temporairement coupé.
NC1 & NC2 avancent tranquillement vers la cour de la ferme pour l’enlèvement. Ils se demandent si les vrais habitants du lieu sont dans leur maison dont ils aperçoivent les fenêtres éclairées.

 Au même instant, Gaston et Gisèle viennent de quitter le père Joseph à la ferme voisine ; ils ont pris un raccourci à travers champs. Ils sont perturbés par l’histoire de la Noiraude en triple exemplaires. Avec tous ces témoins jurant avoir « vu » les trois vaches avant la disparition soudaine de deux d’entre-elles, l’affaire commence à faire du bruit dans le village. Et bien sûr ! il s’en trouve qui racontent que le père Gaston est une sorte de sorcier. Déjà, avec l’aventure de l’engin extra-terrestre dans son champ, Gaston avait acquis une réputation sentant singulièrement le soufre.

 L’horizon a perdu sa clarté. Pourtant la nuit n’est pas complètement noire et nos deux “G” avancent sans hésitation le long de la haie envahie par les ronces que Gaston avait pourtant prévu de couper avant l’été. Le poulailler est là, silencieux à cette heure tardive. Juste avant de rentrer à la maison retrouver leurs enfants, Gaston et Gisèle décident de voir si tout va bien à l’étable.

 Soudain, un puissant rayon lumineux éclaire la cour de la ferme. Il se déplace, comme ces projecteurs de théâtre poursuivant un acteur sur la scène. Bientôt, il illumine deux silhouettes qui sont alors aspirées dans les airs et disparaissent avec un grand « flouff ! ».
 
  Depuis ces évènements, le couple Gaston et Gisèle a acquis une grande renommée dans la région. Des journalistes de la capitale sont même venus faire un reportage sur le Grand Pré. De nombreux scientifiques (ou prétendu tels) ont essayé d’éclaircir l’énigme des trois “Noiraude” — qu’ils n’ont réussit qu’à embrouiller davantage.

 Et puis, l’affaire a pris un tour nouveau quand le père Joseph a expliqué à sa sœur Hortense — présidente de l’association culturelle locale — que Gaston et Gisèle ne pouvaient pas être en ville cette fin d’après-midi là, puisqu’il leur offrait la goutte et le café pour leur remonter le moral. Hortense, qui a son caractère, lui a répliqué qu’elle n’était pas folle et que d’ailleurs, plus de vingt personnes pouvaient en témoigner. A ce sujet, la polémique fît rage parmi les habitants. On en entendit quelques-uns se donner des “noms d’oiseau” parmi lesquels « mythomane » figurait en bonne place.

 Quelques mois plus tard,  les esprits se sont calmés ; on en reparle encore, mais sans passion.
Hortense — qui a toujours les cheveux roses — ne fait plus la tête à son frère, mais elle est persuadée que ce ‘pauvre Joseph’ est en train de perdre la mémoire.

 Il reste que beaucoup regardent Gaston et Gisèle avec une certaine suspicion. On les observe et on trouve leur comportement étrange. D’ailleurs, ils ne se sont jamais expliqués sur le fait d’avoir été vus à deux endroits à la fois ; cela reste un mystère.

 On raconte qu’il se passe encore des choses bizarres au Grand Pré. Le jeune Pierrot — qui n’a plus toute sa tête depuis les évènements — affirme avoir vu d’immenses rassemblements de corbeaux et de goélands, certains jours à la ferme.

PH