" L'Hermitage "

 Cela faisait des semaines qu’ils recherchaient une maison ou un terrain à bâtir qui ne soit pas trop cher tout en restant situé à une distance raisonnable de leur lieu de travail. Emma avait déclaré à Maximilien qu’avec le bébé qui arrivait, il leur faudrait trouver un logement plus grand que l’appartement minuscule qu’ils avaient déniché en ville, quelques mois avant leur mariage.

 Tous deux avaient grandi à la campagne et tentaient instinctivement de recréer l’environnement de leur enfance : une petite maison avec un grand jardin. Cela n’avait pas été facile ; ils se sont vite aperçu que pour rester dans leur budget ils devraient réduire leurs prétentions et s’éloigner de la ville et donc de leur employeur.

 Ils avaient sillonné les environs en agrandissant progressivement le cercle de leurs recherches. La consultation des sites spécialisés du Web n’avait pas été très concluante et Max, comme l’appelait ses proches, se disait que les vendeurs devenaient trop exigeants ; la plupart des prix étaient tels qu’il eut fallu s’endetter pour trente ou quarante ans et le jeune couple n’y tenait pas.

 Finalement, le bon tuyau leur tomba dessus chez le boulanger de Géricourt, un village où, en tournée de prospection, ils voulaient faire une pause pique-nique. Le temps doux et ensoleillé de ce samedi d’avril les incitait à déjeuner en plein air. Ils avaient garé leur voiture sur une petite place plantée de marronniers pour se rendre à l’unique boulangerie du village. A l’intérieur, une demi-douzaine de clients discutaient de la nouvelle du jour. 

— Ça y est, l’Hermitage vient d’être mis en vente. Hortense a rencontré le baron hier, il quittait la maison du notaire de Villeneuve, déclarait une femme aux cheveux frisés. 
— Ah bon ! s’exclama la boulangère, le baron s’est enfin décidé. Cela fait un bout de temps qu’on lui dit de se débarrasser de ces vieux murs dont il n’a nul besoin. Lui et sa sœur ont bien assez du château à entretenir. Surtout qu’il est question qu’elle entre bientôt en maison de retraite.
— C’est quoi cet Hermitage ?  Aux mots magiques “mis en vente”, l’intérêt de Max et d’Emma s’est aussitôt éveillé.

 Ravie de répondre à la curiosité du couple, la cliente frisée leur expliqua qu’on appelait Hermitage un ancien pavillon qui faisait partie du domaine du château de Géricourt. Celui qu’on nommait le baron en était l’actuel propriétaire avec sa sœur : Marie-Louise, pour tout le monde.

 Max se fit expliquer le chemin pour se rendre à l’Hermitage, ou plutôt au château, pour y rencontrer le baron. Ils auraient pu s’y rendre tranquillement à pied mais Emma affirma qu’il était préférable de prendre la voiture pour ne pas perdre de temps et que, de toute façon, arriver juste à l’heure du repas, cela ne se faisait pas.

 En limite du village, sur une petite hauteur, après avoir pénétré dans le parc par une large allée ombragée, ils découvrirent le château. C’était une grande bâtisse qui devait sans doute l’appellation château aux deux tourelles qui l’encadraient. Ils apprirent par la suite que l’édifice était fort ancien et avait connu de nombreux bouleversements (destructions, reconstructions) au cours des siècles passés. Il était la propriété de la famille du baron depuis plusieurs générations.

 Ce dernier, septuagénaire moustachu et très “hobereau provincial”, se présenta de manière fort protocolaire « Baron de Géricourt ! » Emma se pinça les lèvres pour ne pas pouffer de rire quand il la gratifia d’un baisemain tout aussi cérémonieux.
— Soyez les bienvenus céans !

 Ils lui expliquèrent être intéressés par l’Hermitage dont ils venaient d’apprendre la mise en vente et qu’ils souhaitaient visiter les locaux si cela était possible.

 Cette requête surpris quelque peu le baron ; ce jeune couple n’avait pas le profil qu’il s’attendait à trouver chez des acheteurs pour ce qu’il considérait une quasi ruine. Néanmoins, avec un jovial « Amis, souffrez que je vous y conduise ! » il les guida sur une petite allée à travers le parc, menant à une maison qui ne semblait tenir debout que par le lierre vigoureux qui l’enserrait.

 La maison, ancienne et décrépite, mais pas laide et surtout fort spacieuse, était placée au centre d’un grand jardin, accolé au parc. Ce devait être une sorte de logis de concierge aux temps passés de la splendeur du domaine.

 Un muret de pierres, partiellement écroulé, délimitait le terrain qui devait faire un bon demi-hectare. La margelle d’un puits disparaissait sous le lierre, une rangée de grands chênes bordait le côté nord et un chemin empierré conduisait à la route toute proche.

 Le baron expliqua que l’herbe du jardin n’était pas très haute par les soins des chèvres de la ferme voisine qui venaient régulièrement faire bombance en cet endroit. Comme cela arrangeait tout le monde, cette pacifique invasion était tolérée. Heureusement, les chèvres dédaignaient les nombreux rosiers et autres arbustes fleuris qui donnaient un cadre si harmonieux à la maison.

 Evidemment, il y avait à faire ; beaucoup de travaux étaient à prévoir. Mais Emma comme Max eurent le coup de foudre pour ce lieu. L’intérieur poussiéreux était en meilleur état que ce qu’on pouvait craindre de l’extérieur ; ce devrait être habitable après un bon nettoyage et l’apport de quelques meubles. Le baron leur confia qu’un couple d’employés avait temporairement été logé dans la maison quelques années auparavant ; on avait fait installer l’eau courante et même le téléphone pour eux.

 Questionné au sujet du prix demandé, le baron parut presque offusqué de devoir traiter lui-même de ces basses questions matérielles. Il daigna cependant leur indiquer que le prix devrait être très abordable, même pour un jeune couple. Il les invita à se rendre à l’étude de son notaire à Villeneuve pour en discuter avec lui. En attendant, il les conviait en son château pour rencontrer sa sœur et y prendre un rafraichissement.

 Les éventuels futurs acquéreurs furent présentés à Marie-Louise et Max se demanda un instant s’il devait user du baisemain, mais il y renonça en découvrant que la sœur du baron était, contrairement à son frère, bien dans l’époque actuelle.

 Petite et vive, elle était passionnée d’horticulture et fut vite intarissable sur l’importance d’installer une serre pour les plantes les plus fragiles. « Vous savez, le climat d’ici est tempéré mais cela n’empêche pas quelques bonnes gelées au petit matin. » Elle leur dévoila aussi que l’apéritif offert, un hypocras de sa fabrication, suivait une recette puisée dans un très ancien grimoire.

 Manifestement, le frère et la sœur appréciaient la compagnie de leurs jeunes visiteurs qui eurent un peu de mal à trouver un prétexte pour refuser l’invitation à déjeuner “à la bonne franquette” qui leur fut gentiment proposée.

 Après avoir pris congé de leurs hôtes, ils décidèrent de repasser à l’Hermitage pour pique-niquer. L’endroit leur plaisait de plus en plus. Ils explorèrent les lieux plus avant et découvrirent quelques  dépendances derrière la maison. Assurément, Max aurait amplement d’espace et de facilité pour se créer un atelier afin d’entreprendre les travaux indispensables. De constitution robuste et habile de ses mains, il comptait bien réaliser lui-même la plupart des aménagements, hormis le gros œuvre qu’il devrait sous-traiter.

 Restait tout de même l’achat à réaliser. Ils n’avaient pas d’inquiétude sur une éventuelle concurrence, la mise en vente était trop récente pour avoir touché une large clientèle potentielle.
«  Pourvu que le prix soit dans nos possibilités, » pria intérieurement Max. 

 Ils reprirent la voiture au tout début de l’après-midi pour se rendre à la ville voisine, chez le notaire. Dans le bureau de Maître Martin, ils apprirent que le prix demandé pour la maison, sise sur un terrain de 52 ares et 45 centiares, était ridiculement faible. Ils comprirent que le notaire désapprouvait un prix aussi bas et qu’il tentait de le justifier en disant que seul le terrain avait de la valeur. Il était entendu que la maison existante, trop délabrée pour être conservée, devrait être démolie afin de pouvoir en construire une nouvelle.

 Max n’était pas de cet avis, il espérait bien retaper la maison pour la rendre habitable et même confortable. Les murs, bien que fragilisés par le lierre étaient épais et la charpente saine. Cependant, il n’en dit rien au notaire.

 A partir de là, tout alla très vite. L’obtention d’un prêt bancaire — il fallait aussi prévoir le coût des travaux futurs — et les séances de signatures chez le notaire furent une simple formalité. Il y eut les démarches administratives à faire et les différentes demandes de branchement (électricité, téléphone, eau…). Les week-ends furent employés à nettoyer et préparer l’intérieur de la maison et le déménagement pu être planifié début juillet.

 Pendant cette période, ils n’échappèrent pas à plusieurs invitations à dîner chez les Géricourt qui furent ravis de leur faire découvrir les plats savoureux que Marie-Louise confectionnait à partir de recettes puisées dans de vieux livres de la bibliothèque du château. Interrogée sur son éventuel départ en maison de retraite, elle se récria qu’il n’en était pas question… « Les gens disent n’importe quoi ! »

 La famille et surtout les amis furent mis à contribution pour déménager les cartons, les meubles et l’équipement ménager du jeune couple. Le plus difficile fut de les descendre de trois étages avec un escalier toujours trop exigu pour ce genre d’activité.

 Le soir à l’Hermitage, le temps étant très agréable en ce début d’été, des tables avaient été dressées devant la maison pour un buffet de fête. Le baron, qui figurait parmi les invités avec sa sœur, eut beaucoup de succès en racontant moult anecdotes savoureuses sur le château et sa famille.

— Jadis, l’une de mes lointaines ancêtres, la baronne Irène de Géricourt, venait rencontrer en ces lieux un beau et vigoureux jardinier répondant au doux nom d’Armand. Hélas, averti de son infortune, le châtelain exprima son courroux en chassant l’amant et en enfermant la baronne dans le lieu même de son forfait. Le baron décéda peu de temps après d’un accident de chasse. On prétend que depuis, nul ne revit jamais l’infortunée Irène… La nuit, on aperçoit parfois son fantôme errant autour de la maison.

 Max ne croyait pas à ces sornettes et avait évité de raconter l’histoire à Emma qui ne l’avait pas entendu ce soir-là. Ils avaient, tous deux, pris leurs congés annuels pour s’installer et il y avait fort à faire. Deux pièces : une chambre et la grande cuisine qui servait aussi de pièce à vivre, commençaient à être suffisamment équipées et représentaient une surface équivalente à celle de tout l’appartement qu’ils venaient de quitter. Une autre chambre, en travaux de peinture, était prévue pour la venue prochaine du bébé qui était annoncé pour la fin de l’été. Max demandait souvent à la future mère d’en faire un peu moins et surtout d’éviter les efforts trop importants mais Emma, heureuse d’aménager leur nouveau logis, avait peine à se refreiner.

 L’une de leurs toutes premières tâches avait été de faire la liste des travaux à réaliser et surtout de les classer par ordre d’urgence ou d’importance. Cela fit l’objet de discussions animées,  chacun ayant sa propre idée de ce qui était important, mais finalement, pratiquant l’art du compromis, ils se mirent d’accord sur une liste de travaux prioritaires. En bref, l’idée était d’obtenir rapidement un confort minimal dans la maison afin de pouvoir profiter de l’été pour les travaux d’extérieur, comme le remplacement de tuiles abimées sur le toit.

 Prévoyant tous les déchets ou objets à jeter, Emma avait contacté son jeune frère Emilien, employé dans une entreprise de nettoyage industriel de la région, qui avait fait livrer une énorme benne à ordures qu’un camion déposa près de la maison.

 Les premiers jours s’apparentèrent davantage à du camping, mais bientôt, tous les éléments essentiels au confort moderne furent présents. La ligne téléphonique fut rétablie et l’eau coula au robinet. Le chauffe-eau fut installé, leur permettant enfin l’utilisation de la douche dans une salle d’eau qui avait grand besoin de réfection ; mais cela attendrait un peu.

 Quand il s’attaqua à l’extérieur de la maison, Max se garda bien d’enlever tout le lierre qui menaçait d’emporter les murs avec lui. D’ailleurs, cela donnait un certain cachet à la maison et une simple taille suffisait. En plus des portes et fenêtres, cela permis de dégager plusieurs rosiers grimpants cachés dans l’épais feuillage du lierre.

 Par contre, il retira l’essentiel du lierre envahissant le puits ; il ne laissa que quelques rameaux accrochés à la margelle faite de grosses pierres de granit. Un arc de fer joliment forgé soutenait une poulie encore utilisable pour le puisage de l’eau.

 Songeant que ce serait sympa et plus économique de pouvoir utiliser l’eau du puits pour l’arrosage du jardin, il jeta un petit caillou dans le puits dont il n’apercevait pas le fond dans la pénombre. Aucun bruit d’eau ! « Pourtant, ce puits ne devait pas être si profond que cela,  se dit-il. » Il refit l’essai avec une plus grosse pierre et là, il entendit un bruit sourd ; il n’y avait pas d’eau dans le puits !

— Je comprends pourquoi, on n’a pas utilisé l’eau du puits pour alimenter la maison, dit-il à Emma. Il est complètement à sec ; il faudrait se renseigner pour savoir s’il ne pourrait pas être recreusé pour atteindre l’eau.
— J’en parlerai à Marie-Louise, lui répondit Emma, elle sait peut-être pourquoi il n’y a pas d’eau. D’après-moi, cela doit être ancien. Il n’y a pas de pompe à main comme on en voyait partout autrefois.

 Bien qu’elle prétendit être très occupée par ses activités de jardinières avec ses légumes et ses fleurs, Marie-Louise venait régulièrement visiter ses nouveaux voisins et n’était pas avare de conseils et de recommandations. Elle avait même des avis sur la maternité prochaine d’Emma alors qu’elle-même était restée demoiselle.

 Le baron sortait plus rarement de sa bibliothèque ; il apportait parfois un vieux bouquin — les livres anciens étaient son hobby — dans lequel on citait un événement relatif au château de Géricourt ou à ses habitants.
— D’aussi longtemps qu’on s’en souvienne, on n’a jamais vu d’eau dans ce puits. Déclarèrent-ils tous les deux. Il est probable que la source qui l’alimentait s’est tarie depuis longtemps. C’est d’ailleurs bizarre qu’il n’ait pas été comblé comme d’autre puits l’ont été dans la région.
— Il doit y avoir des bêtes dans le fond, frissonna Emma. Max, il faudra mettre une grille pour empêcher les enfants d’y tomber.

 Le lendemain fut un jour de pluie, gris et frais. Abandonnant provisoirement les travaux d’extérieur, Max résolut de s’attaquer à une grande pièce située à l’arrière de la maison et qui avait dû servir de débarras depuis des siècles au vu des monceaux de gravats, de planches vermoulues, d’objets divers et hors d’usage qui y étaient entassés sous une épaisse couche de poussière. La tâche de nettoyage s’annonçait longue et ardue mais heureusement, il venait d’acheter une belle brouette qui allait lui être d’une grande aide pour les nombreux allers retours vers la benne.

 Le soir venu, le tas avait à peine diminué et Emma dû remonter le moral de son époux fatigué avec un bon diner devant la cheminée qu’ils avaient allumée bien qu’on fut en plein été. Faire un feu dans la cheminée leur permettait aussi de se défaire d’une partie du bois qui les encombrait.

 Depuis l’emménagement, leurs soirées étaient courtes. Ils n’avaient pas encore installé de télévision, se contentant d’un peu de lecture avant de vite sombrer dans un sommeil réparateur.

 Les jours se succédaient à une vitesse folle ;  Max réalisa qu’ils approchaient du terme de leurs vacances et pourtant, il restait encore tant à faire ! Emma lui fit remarquer que, malgré tout, ils avaient bien avancé : le toit était réparé, la chambre du bébé était prête, la grande pièce à l’arrière de la maison était presque débarrassée et la salle d’eau avait gagné en confort. De toute façon, comme le disaient ses parents : « dans une maison, il y a toujours à faire ! »

 Max profitait des jours ensoleillés pour délimiter un futur potager et surtout le protéger des chèvres qui venaient toujours brouter l’herbe du terrain. Pour l’instant, il n’avait pas jugé utile d’en fermer l’accès, même quand Emma avait récriminé à propos de « toutes ces crottes semées partout ! » 

 Le débarrassage de la grande pièce arrivait à son terme et Max, après y avoir passé l’aspirateur, découvrit une sorte de grande trappe en bois insérée dans le sol carrelé de briques rouges. Il chercha à la soulever, avec difficulté car elle était bien coincée, mais Max disposait maintenant d’un outillage conséquent et la trappe ne lui résista pas longtemps. Il venait de mettre à jour l’accès à un escalier qui s’enfonçait dans l’obscurité. « Bon sang, il y aurait une cave sous cette maison ? » s’interrogea-t-il.

 Il appela Emma, occupée à la cuisine, et lui demanda d’apporter la grosse lampe torche accrochée près de la porte d’entrée. Tous deux regardaient maintenant les marches de pierre en se demandant s’il était prudent de s’y aventurer. Finalement, la curiosité fut la plus forte et Max s’y engagea malgré les craintes d’Emma, restée sagement en haut.

 L’escalier, après une vingtaine de marches, obliquait à droite et Max arriva à un palier devant une porte en bois vermoulu qui s’écroula à la première poussée. Repoussant les restes de la porte, il pénétra dans un réduit d’environ trois mètres sur quatre. Le sol était en terre battue et relativement sec. Balayant la pièce vide avec sa lampe, il vit une autre porte paraissant en aussi mauvais état que la précédente et qui, une fois poussée révéla un long couloir descendant en pente douce jusqu'à un prochain coude. Avant d’aller plus loin, il remonta les escaliers afin de rassurer Emma et lui dire qu’il n’y avait aucun danger.  

 Max repris son exploration en s’engageant dans le couloir. Les semelles crantées de ses chaussures laissaient de belles empreintes dans l’épaisse couche de poussière qui couvrait le sol. Passé le coude tournant vers la gauche, un peu plus loin, il aperçut une faible lueur. Arrivé à cet endroit, il comprit que la lueur du jour provenait d’un passage transversal, long de quelques mètres et qui conduisait à une solide grille en fer forgé. Après avoir dégagé une partie des plantes accrochées à la grille, il put voir que cette ouverture donnait sur un puits. La grille, qui devait pivoter sur ses gonds à l’origine, avait été scellée dans la pierre et ne pouvait plus être bougée. Cela empêchait Max d’avancer plus avant pour examiner ce puits.
« J’ai l’impression que c’est le puits de notre jardin, » se dit-il.  Effectivement, en retraçant son parcours, il estima que le couloir souterrain devait passer à proximité du puits. « Pas étonnant qu’il soit à sec, ce puits doit servir de cheminée d’aération. » 

Revenant vers le couloir principal, il continua pendant une bonne centaine de mètres avant d’être arrêté par un amas de pierres. L’éboulis paraissait conséquent ; il ne s’agissait pas seulement de quelques pierres tombées de la voute mais celle-ci s’était écroulée et obstruait totalement le passage. Max compris qu’il était illusoire de tenter de dégager l’éboulis. Il n’avait aucune idée de la longueur du couloir touchée par l’effondrement et n’avait pas envie de se lancer dans un travail de dégagement sans parler du risque d’un autre éboulement.

 Il revint sur ses pas pour faire part de ses trouvailles à Emma qui attendait toujours en haut des marches.
— J’ai l’impression que, dans le passé, le souterrain devait relier l’Hermitage au château.
— Le baron a probablement une description de ce souterrain dans ses documents. Il doit exister une entrée située dans une cave ou une pièce du château.

 Le lendemain, Max et Emma rendirent visite aux châtelains en soirée, à l’heure de l’apéritif. Ils avaient remarqué que ces derniers adoraient recevoir à ce moment-là de la journée. Emma sirotait un jus de fruit mais, pour Max, la bouteille d’hypocras était sortie.

 Interrogés au sujet du souterrain, le baron et sa sœur furent très intéressés par la découverte de l’entrée côté Hermitage. Bien entendu, depuis leur enfance, ils connaissaient l’accès au souterrain depuis le sous-sol du château. Mais après une cinquantaine de mètres, le couloir s’arrêtait à un éboulis que personne n’avait songé à déblayer. Ils prirent rendez-vous pour le lendemain matin afin de visiter le souterrain depuis l’Hermitage.

 A l’heure dite, Max guidait le baron, Marie-Louise et Emma dans l’escalier et le couloir souterrain. Ils s’arrêtèrent longuement à la grille du puits, essayant d’en comprendre la réelle utilité. Le baron déclara que pour une simple ventilation, point n’était besoin d’une porte avec gonds. Une simple lucarne suffisait. Pour l’évacuation des déblais, les terrassiers de l’époque disposaient des deux entrées aux extrémités. La présence d’une ancienne serrure, encore visible, laissait supposer que l’on se servait du puits comme passage à une certaine époque.

 Avant de rentrer au château, le baron promis de faire des recherches dans sa bibliothèque pour tenter de trouver plus d’information sur ce passage souterrain.

 Le week-end suivant, qui marquait la fin de leurs vacances, Emilien, le frère d’Emma, était venu déjeuner avec son amie Magali. Bien entendu, la visite au souterrain s’imposa et ils débattirent de l’intérêt ou non de desceller la grille afin de pouvoir l’ouvrir.
— Attendez un instant, déclara Emilien, auparavant il serait bon de descendre dans le puits pour l’examiner d’un peu plus près. J’ai toujours des cordages dans mon coffre de voiture et si l’arc de fer au-dessus du puits est suffisamment solide, je vais descendre par là.

 Emilien était féru d’escalade et allait régulièrement pratiquer son sport favori sur des pitons rocheux situés dans la forêt toute proche. Il prit donc une longue corde, l’attacha à l’arc de fer forgé et descendit dans le puits avec une lampe.

 Pendant ce temps, Emma et Magali surveillaient sa progression à travers la grille du souterrain. Arrivé à ce niveau, Emilien nota que des pierres en saillie sur les parois du puits auraient pu servir à supporter une plateforme. Puis, en atteignant le fond du puits, deux ou trois mètres plus bas, il découvrit une autre grille qui fermait l’accès à un conduit similaire à celui du dessus.

 Cette découverte intéressa vivement  nos amis. Ils échafaudèrent un plan pour atteindre plus aisément cette dernière grille. Max déclara pouvoir débloquer la première grille sans trop de difficulté et à partir de là, on pourrait facilement disposer une échelle pour descendre au fond du puits.

 Leurs congés se terminèrent avec ces projets. Rendez-vous fut pris le week-end suivant pour continuer l’exploration. Cependant, la curiosité le tenaillant, Max passa quelques heures les soirs de semaine, au retour du boulot, pour libérer la grille haute qui put ainsi pivoter et laisser un libre accès au puits. Il descendit une échelle avec une corde par le haut et atteint ainsi le fond encombré de cailloux — il n’avait pas été le seul à sonder le puits en y lançant une pierre — et quelques restes d’animaux. Il put brancher une lampe au bout d’une rallonge électrique descendue dans le puits pour observer la grille basse. Celle-ci, identique à celle du dessus, n’était pas scellée et sa serrure rouillée ne résista pas longtemps avant de s’ouvrir dans un crissement strident.

 Tenant la lampe, Max avança de quelques pas dans le couloir et arriva devant une porte en bois qui, contrairement aux précédentes, était faite d’un épais et solide bois de chêne en bon état. Les dimensions de la serrure impliquaient une clé de belle taille. « Cette clef existe-t-elle encore ? » se demanda-t-il.  Avant de songer à forcer la serrure ou la porte, il fallait tenter de retrouver la clé. « Le baron ou Marie-Louise savent peut-être où elle se trouve ; une clef de cette dimension ne doit pas se perdre facilement ! »

 Justement, le lendemain soir, le baron vint à l’Hermitage avec des livres et documents sous le bras. Il avait trouvé quelques pages relatant des évènements parlant du passage secret reliant le château au pavillon. Celui-ci aurait été creusé pendant les guerres de religion, dans la crainte d’une attaque de troupe huguenote. Plus tard, le souterrain aurait été utilisé à la Révolution pour y cacher le curé réfractaire du village. Une dernière note, plus récente, évoquait l’enquête de police sur la disparition de l’épouse du baron de Géricourt qui fut suspecté de s’en être débarrassé dans les souterrains du château. L’enquête fut close à la mort accidentelle du châtelain.

 — Finalement, rien de bien nouveau là-dedans, l’accès au puits n’est mentionné nulle part.
Le baron fut quand même impressionné en apprenant la découverte de l’autre passage conduisant du puits à la porte de chêne fermée à clé.
— Morbleu ! Oui, nous avons un tas de vieilles clefs dont on a oublié qu’elles serrures elles pouvaient ouvrir. Je vais aller les quérir sans plus tarder.

 Il revint bientôt avec une sacoche remplie de clés de toutes tailles. Il accompagna Max, descendant avec précaution au fond du puits et tous deux essayèrent les clés une à une. Au huitième essai, la clé s’embla bien correspondre mais la serrure résista un bon moment. Il fallut y injecter un liquide dégrippant pour débloquer le mécanisme et enfin, ouvrir la porte.

 Plaçant la lampe en hauteur, Max et le baron aperçurent une salle avec une table, une chaise paillée et un bat-flanc accroché au mur pour seuls meubles. Une petite lucarne fermée par une grille devait, à l’origine, amener un peu d’air ou de lumière. Depuis, un tas de gravats avait bouché cette ouverture.

 Une cruche, une cuvette émaillée, un seau, quelques objets épars et surtout, la présence d’un squelette humain allongé dans un coin, leur confirma ce qu’ils pensaient tous deux : ils avaient découvert la cellule de la baronne adultère, Irène de Géricourt !

— Diantre ! La pauvre femme ! Elle a dû mourir de faim dans son cachot. Nous allons lui donner une sépulture décente. Nous devons prévenir les autorités et le curé de la paroisse ; elle sera inhumée près du château, c’était quand même une Géricourt !

 Les jours suivants, il y eut de beaucoup d’agitation autour de l’Hermitage. Une enquête de la gendarmerie fut diligentée et un médecin légiste vint confirmer que la prisonnière était morte de faim plus de cent cinquante ans auparavant.

 L’autorisation de l’enterrer avec ses ancêtres — et descendants — dans le cimetière du château fut accordée et tout le village assista à la cérémonie. Il faut dire que le journal local avait consacré plusieurs pages à l’extraordinaire découverte de la prison d’Irène de Géricourt.

 Le baron et Marie-Louise furent horrifiés des inepties publiées dans les journaux à ce sujet. Max et Emma durent rester fermes en interdisant l’entrée de leur maison à la meute de journalistes qui voulaient absolument visiter les lieux du drame.

 Ensuite, la vie repris son cours habituel. A l’Hermitage, le centre des préoccupations était maintenant l’arrivée imminente du bébé — une fille d’après les dernières échographies ; l’histoire d’Irène, du puits et du souterrain passa au second plan.

 Malgré tout, il subsistait encore quelques interrogations auxquelles Max avait bien l’intention de répondre. En tout premier lieu, la petite lucarne de la cellule l’intriguait ; sur quoi donnait-elle ? Il avait calculé que cette pièce devait se trouver environ dix mètres sous le niveau du sol, quelque part sous le long couloir. En outre, il supposait qu’elle n’avait pas été construite pour enfermer la baronne mais qu’elle se trouvait là depuis longtemps. Il examina donc toutes les parois de la cellule, à la recherche d’une éventuelle issue condamnée… sans succès ! 

 Et puis, arriva le moment de conduire Emma à la maternité : une petite Louise venait agrandir la famille. Le baron et sa sœur en furent presqu’aussi heureux que les nouveaux parents et une vieille bouteille d’hypocras fut débouchée en l’honneur de la nouvelle habitante de l’Hermitage.

 Emma et Max apprirent le métier de parents : les nuits écourtées, les inquiétudes aux moindres pleurs, mais aussi les joies aux premiers sourires et plein de photos à montrer aux collègues et amis.

 Max continuait l’aménagement de la maison. Il avait décidé d’utiliser la petite pièce au bas de l’escalier comme cave à vin. Il avait remplacé la lourde trappe en bois par une rambarde avec un portillon. Il avait aussi installé un éclairage dans sa nouvelle cave et l’avait prolongé dans le couloir menant jusqu’au niveau du puits.

 C’est pendant cette installation qu’il remarqua, un ou deux mètres avant le passage vers le puits, les traces d’une porte murée dans le couloir. Il courut chercher des outils pour desceller et retirer les moellons et put bientôt se glisser dans l’ouverture. Il se retrouva sur un palier, en haut d’un escalier de pierre conduisant vers le bas d’une pièce carrée de grande hauteur.

 Descendant prudemment, Max réalisa que cette nouvelle pièce donnait la réponse à l’énigme de la lucarne. Le sol devait être au même niveau que celui de la cellule et dans un coin, un tas de gravats provenant de l’effondrement d’un morceau du plafond, recouvraient en partie un lourd coffre de bois.  Il lui restait à finir d’ouvrir l’issue condamnée, étayer partiellement le plafond et dégager les gravats.

 Il se doutait que cette découverte supplémentaire intéresserait grandement les Géricourt mais il décida de la garder pour lui, tant que la salle ne serait pas nettoyée. Cependant, après quelques pénibles remontées de l’escalier avec des seaux pleins de gravats, il fut contraint de solliciter l’aide de son beau-frère Emilien. En effet, en se servant d’un palan bricolé pour l’occasion, à deux, ce fut bien moins fatiguant. Ce travail leur prit un week-end complet et enfin, la lucarne et le coffre furent dégagés.

 Après avoir nettoyé le grand coffre, très joliment ouvragé, Emilien tenta de l’ouvrir, mais deux grosses serrures réclamaient une clé qu’il n’avait pas.
— Bigre, il pèse une tonne ! S’exclama-t-il. Comment faisaient les gens de l’époque pour le déplacer ?
— Ils devaient le déplacer vide, observa Max. Actuellement, il est sans doute plein de vaisselle, de linge ou de vêtements. On le saura en l’ouvrant. Par contre, pas question de forcer ces serrures, on va devoir demander au baron d’apporter son stock de vieilles clés.

 Le samedi suivant, Magali et Emilien vinrent à l’Hermitage, officiellement pour voir la petite Louise et ses parents, mais en fait, Emilien ne voulait pas rater l’ouverture du coffre. Et s’il contenait un trésor ! Cela pourrait expliquer son poids énorme.

 Le baron et Marie-Louise étaient aussi invités à déjeuner, mais avant cela, tous — excepté Emma qui gardait le bébé — se rendirent dans la salle haute comme ils la nommaient maintenant. Max y avait installé provisoirement quelques lampes, notamment à cause de l’escalier sans rampe qui pouvait se révéler dangereux. Le baron, sa sacoche de clés sous le bras descendit prudemment le long escalier et s’installa devant le coffre brillamment éclairé. En visitant quelques fonds de tiroir, il avait ajouté des clés supplémentaires à sa collection et nul doute que le bon sésame s’y trouvait.

 En effet, les serrures ne résistèrent pas longtemps et Max, aidé d’Emilien, leva l’épais couvercle du coffre. Celui-ci était plein. De vêtements d’abord, puis de draps et de vaisselle comme l’avait deviné Max. Il y avait même un tas de livres qui enchantèrent le baron.

 Pendant que les deux femmes examinaient les vêtements, assez bien conservés du reste, Max et Emilien sortaient la vaisselle. Sous une pile de torchons, un coffret fermé à clé reposait au fond. Son poids montrait qu’il était plein. « Je l’avais dit, c’est un trésor ! Je suis sûr que ce sont des bijoux ou des pièces d’or, s’exclama Emilien. »  Par contre, aucune des clés du baron n’ouvrait la serrure du coffret. Ils remontèrent donc l’escalier emportant chacun quelque chose. Emilien portait le précieux coffret, le baron les livres tout aussi précieux, Magali et Marie-Louise suivaient, les bras chargés de vêtements et Max fermait la marche avec un lot de vaisselle.

 Ils retrouvèrent Emma qui commençait à s’impatienter et fut ravie d’admirer tous ces objets anciens. Max, entrepris de crocheter la serrure du coffret. N’y réussissant pas, il passa le crochet au baron qui s’y essaya et trouva le déclic qui libéra le verrou.

 Ils découvrirent une bourse de soie verte remplie de pièces jaunes et quelques bagues ornées de pierres précieuses. Emilien astiqua vigoureusement l’une des pièces. « Houa ! Un Louis d’or »  hurla-t-il, comme s’il venait de le trouver dans son propre jardin. Le baron l’examina de près et déclara que c’était plutôt un Ecu d’or et qu’il devait probablement dater de l’époque de Louis XII.

 Pour Emma et Max, cela ne faisait aucun doute, bien que la salle haute soit située dans le périmètre du terrain de l’Hermitage, le coffre comme son contenu appartenait aux Géricourt.
— De grâce, n’alertez pas la presse, implora Max, nous en avons déjà eu tout notre saoul avec le souterrain et la sépulture de dame Irène. Nous allons remonter le contenu du coffre que vous pourrez emporter au château. Par contre, pour le coffre lui-même, ce n’est pas certain qu’on réussisse à le sortir nous-même. Il faudra sans doute le laisser dans la salle haute.

 Ainsi fut fait. Une grande salle du château accueillit le linge et les vêtements ainsi que la vaisselle qui fut exposée sur des tables. Le baron pensait contacter un historien de sa connaissance pour étudier tranquillement tous ces objets. Bien sûr, les bijoux et les pièces d’or furent conservés à l’abri des regards.

 La jeune Louise n’était pas encore consciente des événements extraordinaires survenus au moment de sa naissance. Le baron et Marie-Louise insistèrent pour lui offrir une grande partie des Ecus d’or.
« Ce sera votre dot, jeune fille ! Ainsi, vous vous souviendrez de nous…  plus tard. »

PH